The Brokenwood Mysteries (2014 - en cours, Tim Balme et al.)

Publié le par GouxMathieu

   Je parle encore d'une série policière, il m'a semblé le faire récemment encore ; c'est ma façon pourtant. Bien entendu, je pourrais rappeler que, de Racine à Gide ou Agatha Christie, le prétexte de l'enquête policière, de la confession et du témoignage, a toujours charpenté la création artistique et est comme le terreau sur lequel poussent ces belles plantes. Je le pourrais ; mais je dirais simplement que j'aime le genre, et que j'aime Brokenwood Mysteries.

 

   Mon amour me l'a fait connaître récemment, sans y paraître : toujours curieux d'en savoir davantage, je me plongeais dans cette nouvelle histoire et comme beaucoup m'a-t-on dit, j'en tombais immédiatement amoureux. On notera néanmoins quelque chose d'amusant ici, de presque disturbant : contrairement à d'autres exercices du genre, Criminal Minds ne serait-ce, il ne s'agit pas ici de trouver un angle inédit ou une technique rare de résoudre les énigmes. Si les auteurs ont bien tenté au commencement de portraire l'inspecteur général comme un homme étrange, parlant aux cadavres et déluré, ils abandonnèrent rapidement cette piste, paresseuse du reste. Il reste alors l'essence de l'objet, le décor, et les personnes : et c'est paradoxalement là que l'originalité appert.

   De la Nouvelle-Zélande effectivement, je ne connais guère que des anecdotes de tournage et des montagnes escarpées, un fruit ou un oiseau, mais rien de plus. Que m'en excusent ses habitantes et habitants, mais le pays pourrait bien être imaginaire à mes yeux, tant il est loin et confus. Je repense à Racine encore une fois, je repense à Bajazet : la lointaineté de l'espace vaut bien celle du temps, et cette série est comme une fenêtre sur un monde mythologique et inaccessible.

   Les personnes ensuite : j'ai le bonheur de parcourir cette série en langue originale, les sous-titres m'aident beaucoup. Mais je goûte cet accent rare, peu écouté et peu entendu : l'on connaît toujours malgré nous, tant leur culture a envahi le monde moderne, le nasillard américain ou, au contraire, le vénérable britannique ; mais j'étais parfaitement ignare de ce diatopisme, qui améliore notablement mon appréhension de la question. Les figures présentées demeurent, toutes choses égales par ailleurs, des attendues du genre, mais elles nous sont offertes sans affectation ni complaisance, dans une simplicité et une intelligence étonnante qui les rendent - du moins, qui me les rendent - aimantes. On a donc, dans la galaxie de l'inspecteur que j'évoquais, sa collègue sagace, le planton réservé, la légiste russe et décalée, sans doute la plus caricaturale du groupe mais au parcours personnel s'enrichissant, d'épisode en épisode.

   On appréciera également, sans que cela ne verse particulièrement dans l'orientalisme, des acteurs d'ascendance maori, en premier lieu Pana Hema Taylor. Il est au commencement bien le seul, ce qui le fait apparaître partout, encore et toujours, jusqu'au ridicule parfois : mais l'on découvrira progressivement d'autres membres de sa famille, des ami.e.s, des compagnons d'armes. La série témoigne alors d'un charmant effort de représentation, non par paternalisme, mais par souci de vrai : bien aveugle celui, ou celle, qui s'en plaindrait, c'est comme s'il n'avait jamais observé le monde qui l'entourait.

   L'essence, enfin. La tranquillité de l'écriture, une fois encore, surprendra les amateurices du genre. Les victimes, et leurs bourreaux, sont autant des hommes que des femmes, des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres. Ce peut être des amants, des partenaires d'affaires, des garagistes. Une fois encore, la chose en devient irrémédiablement rassurante, cruellement réelle : alors que ces spectacles policiers tendent à aliéner les assassins, les rendre exceptionnels et monstrueux, dans le premier sens du terme, géants par leur intelligence, leur cruauté ou leur atypisme, les criminel.le.s de Brokenwood sont étrangement normaux. Il y a de la préméditation, et il y a parfois de l'accident ou de la folie : mais c'est votre fleuriste, c'est notre professeure ou le journaliste local. 

   Alors certes : le taux d'homicide dans cette petite ville factice, où tout le monde semble se connaître, crève tous les plafonds statistiques, à croire qu'une malédiction ancienne pousse au crime. Mais c'est là le prix à payer pour apprécier les saynètes qu'on nous propose, dans cette ville de vignes infinies, de plages silencieuses et de ruelles animées : et moi, très régulièrement, d'être curieux et d'observer, comme je le ferai avec une longue vue, la vie et les morts de ces êtres imaginaires.

 

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