Robot Face (2015, Caravan Palace)

Publié le par GouxMathieu

   Que ce soit en matière de littérature, de cinéma ou de musique, j'aime les reprises, les refontes, la nouveauté qui sourd de l'ancien. J'ai une conception de l'art ainsi faite, que rien ne se crée, que tout se transforme : et l'album de cette semaine ne pouvait alors que me plaire.

 

   Pendant longtemps, et par le truchement du rock'n roll, je me suis énormément intéressé aux typologies musicales, à ce qui était du heavy metal, à ce qui était du hard rock, à ce qui était de l'industriel. Mes recherches cependant avaient un point aveugle : je ne prenais point en compte la nouveauté et l'ingéniosité des artistes qui toujours inventent de nouvelles formes. Ces dernières années, on vit apparaître un sous-genre du swing et du jazz, que j'aime par ailleurs : l'electro swing, qui fut notamment développé par le groupe français dont il est ici question.

   Il y a là comme quelque chose d'aristotélicien, cette idée que le tout est plus que la somme des parties : car l'on connaît bien le swing, cette dérivation du jazz qui faisait obscènement danser les amateurs dans la première moitié du siècle dernier ; on voit plus ou moins ce qu'est l'electro, cette dérivation du hip-hop qui donne une grande importance aux musiques de synthèse ; mais l'association des deux est une épreuve bien formée, ronde dans son déroulement et joliment dansante.

   Mes premières écoutes de ce genre récent, par Caravan Palace et d'autres, ont été des plus étranges car je ne savais parfaitement où me placer. Je reconnaissais là des voix, des ritournelles, des thèmes qui me renvoyaient au temps du cinéma muet, de Buster Keaton, de Gatsby le magnifique ; de l'autre, le rythme enlevé me faisait penser aux Daft Punk, à Freeez, aux voitures fluides s'énervant sous des lampadaires nocturnes. L'anachronie musicale, voilà ce que l'on me proposait : un moment hors des temps et des espaces, qui résumait en quelques minutes à peine un siècle de civilisation fêtarde.

   Caravan Palace et cet album, que l'on appellera Robot Face, est une découverte récente mais magistrale qui contient, ce me semble, la quintessence de cet art. On y trouve tout ce que je viens de décrire, et bien plus : car aux côtés des hautes nouveautés, il y a également tout un univers qui se construit et auquel on assiste par les différents clips créés pour l'occasion. On y voit un monde qui ferait penser à Blacksad, des déesses marchant parmi l'humanité, des chorégraphies soudainement improvisées dans un café de la route 66. J'ignore dans quelle dimension potentielle ces choses-là se retrouvent, quels hasards quantiques les ont inventées : mais je veux y vivre.

   Il y a des musiques qui se chantent, et il y en a qui se rêvent : celles-ci se dansent, se désarticulent, se révèlent sur la piste clinquante d'un bar rêveur, entre un verre de gin et un autre de martini. Robot Face m'emporte au-delà de moi, comme les passions dont parlait jadis Montaigne. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas senti aussi énergique, je vieillis malgré moi : et il est agréable de retrouver un peu de jeunesse, que je laisse ces jours-ci de côté pour l'un ou l'autre travail important ou non, nécessaire ou non. À l'aune du monde qui avance, je danserai sous la pluie sans entendre la fin de l'orage.

 

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