Gabriel Knight: Sins of the Fathers (1993, Jane Jensen)

Publié le par GouxMathieu

   J'ai parfois évoqué ici les jeux d'aventure Sierra, parlant tantôt de Space Quest ou de Leisure Suit Larry, en m'arrêtant longuement sur Phantasmagoria. Je parlerai à présent de Gabriel Knight, une série découverte après le troisième épisode, sans doute le plus faible, mais que je n'ai commencé à véritablement apprécier qu'avec le parcours du tout premier.

 

   Jane Jensen, en 1993, avait d'ores et déjà travaillé pour Sierra, mais c'est résolument avec Gabriel Knight qu'elle se fit connaître du grand public. On découvrit alors tout son talent d'autrice, de conceptrice, de réalisatrice ; et quand bien même son travail le plus marquant demeurerait celui-ci, elle a su marquer d'une pierre blanche et le paysage du jeu d'aventure, et le paysage du jeu vidéo lui-même.

   Situons, rapidement, l'intrigue : Gabriel Knight prend place à la Nouvelle-Orléans, tandis que des meurtres étranges, apparemment liés à la culture vaudou, ont eu récemment lieu. Gabriel Knight, libraire du quartier français, va se retrouver mêler à cette histoire, et il se révélera être une sorte de chasseur de démons, descendant d'une longue lignée de sa race, confronté à des créatures surnaturelles. Mystère policier, références mythologiques, jazz et beauté : voilà Lovecraft réactualisé, vivant et intelligent, beau dans sa noirceur.

   Même aujourd'hui, Gabriel Knight impressionne, graphiquement, musicalement, vocalement, narrativement. On est là au période du genre de la deux dimensions, avec des couleurs vibrantes, une luxuriance de détails, des saynètes se revendiquant qui de la bande dessinée, qui du cinéma ; l'univers musical est terrible de profondeur, alternant entre le mystique et l'envolée, le grandiose et l'intime ; vocalement, avec Tim Curry et Mark Hamill ; narrativement, pour une enquête riche en rebondissements.

   C'est peut-être ici que le "style Sierra" se fait le moins ressentir. Quand bien même y aurait-il encore des situations périlleuses, des voies bloquantes, et une certaine mauvaise foi dans l'acquisition et l'obtention des objets et des informations, l'ensemble demeure néanmoins cruellement logique. C'est une véritable enquête policière ici, une recherche minutieuse d'indices, des déductions et des inductions, des inférences. Et ce n'est pas un hasard si Jane Jensen, ensuite, édita son histoire sous forme de roman, tant son intrigue se tient magistralement.

   Ce que je retiendrai avant toutes choses, je pense, ce sont ces dialogues, cette dynamique toute particulière avec Gabriel et Grace, son assistante cynique et désabusée dans laquelle je n'ai pu m'empêcher de reconnaître Daria, quelques années en plus cependant. Il est miracle de les voir interagir, d'entendre les remarques cinglantes de l'une suite aux observations naïves de l'autre. Jamais alchimie n'avait été aussi éclairante dans un jeu vidéo, même encore maintenant la chose est rare. On a parfois des fulgurances, Monkey Island est drôle, Undertale est touchant : mais Gabriel Knight est juste.

   On parle aujourd'hui, et occasionnellement, de "romans interactifs", de ces jeux vidéo fortement narratifs, qui réduisent à leur portion congrue leur ludicité, à l'instar de The Path, mettons, mais là encore, on peut argumenter le contraire. Pour moi cependant, Sins of the Fathers est peut-être le premier et meilleur représentant de cette catégorie, si tant est qu'elle existe. On y reviendra alors délectation, sans s'en lasser, et même si l'on meurt et échoue, on en retiendra toujours quelque chose, comme une promenade nocturne cicatrise toujours un peu nos âmes abîmées.

 

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