Hubert-Félix Thiefaine (né en 1948)

Publié le par GouxMathieu

   Ces derniers temps, je reviens petitement à la chanson française. Elle me rapproche de la musique en général, que j'ai éclipsée longtemps pour diverses raisons ; et comme pour faire le lien entre le parlant des livres et la lecture des films, il me fallait des paroles.

 

 

   Or, rien de ce que j'écoutais habituellement, et dont j'ai parlé ici, les Brel, les Renaud, les Brassens, les Balavoine, ne m'attiraient : c'est alors que je me ressouvins d'Hubert-Félix Thiefaine, que je dois avouer peu connaître. On m'apprit son existence il y a de cela trois ou quatre ans ; j'ai depuis su qu'il était "dans le métier" depuis plus longtemps que je ne le pensais ; qu'il avait une carrière impressionnante ; et que, pourtant, il était bien peu connu du tout venant.

   La faute à quoi, la faute à qui, je ne peux que le supposer. Peut-être, c'est une vieille histoire, son caractère libertaire, ses paroles pleines de philosophie anarchiste et désabusée ; peut-être, encore, son tango mesuré avec de graves sujets, sa peinture sans compromission des faux-semblants et de la misère humaine, sensible, politique ; peut-être, également, sa poésie apparemment impénétrable, surréaliste et enlevée.

   J'ai eu, comme beaucoup de jeunes personnes, mon histoire d'amour avec le surréalisme. Lautréamont, Breton, Vian même par endroit, ont sur colorer d'un pinceau arc-en-ciel une réalité que je jugeais alors particulièrement terme. Thiefaine participe volontiers de ce travail de construction déconstructrice, et reprend alors à son compte des instruments depuis longtemps théorisés, le choc des images apparemment éloignées, la syntaxe simple mais flamboyante, la rime s'effaçant devant la prose et la prose devant le vers.

   Ce que je retiens particulièrement de ce style, quand bien même cela ne serait-il que la surface des choses, c'est cette habitude de l'adjectivation, de la saturation du groupe nominal qui a été, de nombreuses années et encore aujourd'hui lorsque je ne me surveille point, ma propre marque de fabrique écritoire. Je retrouve cela avec une exaltation particulière chez cet auteur, et rien ne me fait plus plaisir.

   Comme je le disais, je connais encore peu Thiefaine. De la petite vingtaine d'albums studio qu'il a pu enregistrer, peut-être n'en ai-je parcouru que trois : mais cela m'a parfaitement ravi. Mes airs préférés, sans surprise ici, tapent parmi ses plus connus, notamment "La fille du coupeur de joint" et "113e cigarette sans dormir". J'y retrouve ce mélange entre grandeur et médiocre, entre joie et désabusement, beauté et laideur.

   Mais de toutes, sans doute "Les dingues et les paumés" me revient le mieux, au point de l'avoir écouté, ces derniers jours, en boucle continue. Rien ne me semble plus impressionniste, tendre et cru, parfaitement beau. J'ai trop grandi, ces derniers temps, pour plonger davantage, il me faudra revenir dans un temps perdu de l'innocence et du joujou : je ne sais si Thiefaine m'aidera ici, mais je subodore que comme toutes les bonnes choses, il me faudra faire le chemin seul pour apprécier ma seule récompense. 

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