Peau d'Homme (2020, Hubert & Zanzim)

Publié le par GouxMathieu

   Comme j'ai eu à le dire quelques fois ici, les questions relevant du féminisme m'intéressent énormément, qu'il s'agisse de sa dimension historique, de ses propositions politiques, de ses différents courants. Lorsque je lus Peau d'Homme, je fus particulièrement emballé de voir ces sujets en bande dessinée.

 

   On comprendra très rapidement de quoi il retourne : dans l'Italie de la Renaissance, une jeune femme se voit léguer un trésor de famille, une "peau d'Homme" qui lui permet de se transformer en dameret. C'est pour elle l'occasion rêvée non seulement d'observer son promis "dans son milieu naturel", mais également d'apprécier la façon dont son monde traite différent les hommes et les femmes. Elle sera ainsi confrontée aux réprobations religieuses, sociales, culturelles ; à l'homosexualité ; à la question de la beauté et de la laideur ; et à toutes ces sortes de choses.

   Je ne connaissais point les auteurs, je ne crois pas n'avoir jamais rien lu d'eux auparavant ; le dessin, clair et joli, n'était cependant pas tout à fait dans mon style, je préfère d'autres façons ; mais l'histoire cependant intrigua rapidement, elle avance sans piétiner et nous emporte dans cette fable qui fleure assez bien les récits du temps.

   Toute cette période renaissante, effectivement, m'intrigue particulièrement et j'aime ce type de contes qui font irrésistiblement penser à Boccace ou à Marguerite de Navarre, voire à Montaigne. Il racontait ces anecdotes d'une femme qui, parce qu'elle sauta sur place, fit descendre des "parties d'homme" et des hommes qui "devinrent femelles" par la force de leurs pensées. Ces histoires étaient nombreuses encore au Moyen-Âge, dans les contes et fabliaux, c'est comme un lieu commun dépeignant une fluidité sexuelle et genrée. Je me retrouvais en terrain connu, et tous ces codes étaient particulièrement bien écrits.

   C'est toujours un art précieux, et c'est finalement rare, que le jeu de l'adaptation. Le propre des fictions, et des fictions politiques qui plus est, marche sur une ligne de crête difficile. Rendre le monde ancien trop contemporain, c'est se méprendre sur les enjeux du temps et prendre le spécifique pour le général ; se borner à une historicité trop franche, c'est prendre un grain trop fin qui rend l'intrigue étrangère à nos soucis. Les histoires qui ont survécu jusqu'à nous sont les meilleures, et à raison.

   Peau d'Homme a sans doute cette qualité, en parvenant à s'inscrire et dans la temporalité qui est la sienne, ce quattrocento légendaire à l'influence considérable, et en prenant à bras le corps des sujets qui traversent toujours nos discussions, nos politiques et nos idées. On ne va cependant pas tout à fait sur le champ de l'allégorie, on  ne perd pas de vue les êtres qui habitent ces peaux, qui prononcent ces discours, qui souffrent et qui aiment. L'ancrage dans le réel, toute réelle cette histoire puisse-t-elle être, est l'une des meilleures forces de ce récit à ce que je puis comprendre.

   La critique, populaire comme académique, ne s'est d'ailleurs point trompée, et a consacré l'album comme le meilleur de ces dernières années. Il est vrai aussi que je lis peu de bandes dessinées contemporaines, l'envie m'en a passé : je les vole chez les amies et les amis, et j'oublie parfois de les rendre. Je l'ai rendue, celle-là : il faut qu'elle se partage.

 

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