Cuphead: Official Soundtrack (2017, Kristofer Maddigan)

Publié le par GouxMathieu

   Récemment est sorti Cuphead, dont j'ai eu l'occasion de parler ici. Il s'agit d'un jeu vidéo de type run'n gun s'inspirant notablement des dessins animés des années 30 et notamment du studio Fleischer connu, entre autres, pour leurs personnages de Betty Boop, de Bimbo et de Koko le Clown. Si le jeu n'est pas sans défaut, sa bande son en revanche, de laquelle je suis tombé fou amoureux, ne compte aucune fausse note.

 

   Cela deviendra une tarte à la crème de ce journal : j'aime, jusqu'au bout des ongles, passionnément, tout ce qui relève du jazz, du big band et du blues, bref, tout ce qui était jadis étiqueté comme "musique noire" et qui vient des rythmes chantés par les esclaves américains, en souvenir de leurs origines déracinées. Le rock'n roll, j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, n'est qu'une prolongation de ces chansons premières ; et j'explore toute une galaxie musicale d'étoile en étoile, sans jamais m'en lasser.

   Cuphead, s'inspirant des dessins animés de cette période bientôt centenaire de la culture populaire, ne pouvait faire l'économie d'un habillage musical y renvoyant. Il en allait de la cohérence de sa ligne, de la profondeur de son propos : et dès les premières notes, nous sommes effectivement transportés dans un univers qui n'a rien à envier aux grandes gloires du temps.

   L'on doit certes cette bande son, comme le générique nous l'apprend, à Kristofer Maddigan, mais c'est surtout grâce à toute une composition, le National Ballet of Canada Orchestra que cette maestria est née. Il ne suffisait pas uniquement de composer les pistes ; il fallait aussi les jouer, et de la même façon que chaque élément du jeu fut patiemment dessiné, chaque piste fut enregistrée en studio, avec cinq, dix, vingt instruments différents, et avec d'infinies variations. Cuphead reprend à son compte une convention à présent bien installée dans le média, sédimentée à l'époque par Nintendo et RareWare, celle de la "musique interactive" et si la mélodie n'évolue guère, le rythme, l'harmonie, l'ambiance change notablement selon le moment du jeu où le personnage se trouve.

   Successivement, l'on aura donc droit à des pièces aventureuses, où le tambour se dispute aux instruments à vent ; d'autres, plus dansantes, empruntant au mambo ou à la rumba avec de jolies cuivres, des maracas et autres percussions ; enfin, des parties davantage mystérieuses ou tranquilles, et le saxophone de surtout dominer. Il fallait une belle intelligence pour garder une cohérence, toute en proposant de la variété. Les jeux rarement y parviennent : ou bien ils se font unis et, tout en étant agréables, finissent par alasser ; ou bien ils multiplient les exploits, mais comme ils peinent à travailler ensemble, l'on les rattache difficilement au même projet.

   Lorsque j'explore cette bande son, qui à elle seule est une pièce magistrale et peut volontiers s'écouter indépendamment du jeu qu'elle habille, mes préférences évoluent successivement. Tantôt, je loue "Floral Fury", et sa trompette entêtante ; tantôt, je reviens vers "Honeycomb Herald", qui imite l'esprit enfumé d'un bureau débordé de travail ; enfin, je loue "Dramatic Fanatic" et le vaudeville déjanté auquel l'on nous demande d'assister. Si mon humeur du moment me dirige çà et là, les découvertes influencent également en retour mes amours preuve, s'il en était besoin, que la musique adoucit les mœurs comme le prétend la rumeur populaire.

   Un morceau, néanmoins, me retient toujours : "Die House", thème de l'un des principaux opposants des héros, "King Dice". Ce qui fonde son intérêt, c'est qu'il s'agit d'une des rares pièces chantées ; et ce qui est d'autant plus étrange, c'est que la voix qu'on y entend, inspirée de Cab Calloway, est celle d'une chanteuse, Alana Bridgewater. Sa chaleur est celle d'un Armstrong, d'une Fitzgerald, d'une Bessie Smith ; et il m'a fallu bien des écoutes pour m'apercevoir qu'il s'agissait là d'une femme tant son timbre enlaçant, et l'imagerie que je lui associais, m'avait trompé parfaitement.

   Je ne rejouerai sans doute pas de sitôt à Cuphead, le jeu. Maintenant fini, et ses quelques challenges remportés, il ne m'intéresse pas d'y revenir et, mettons, de remporter un concours de vitesse ou de ne pas prendre le moindre coup au cours de mon aventure. Ses mécanismes ne s'y prêtent guère, et je n'ai plus, il est vrai, la patience de jadis pour ces choses. Sa bande son, en revanche, reviendra souvent dans mes enceintes : et je pense qu'il est peu de chances qu'elle s'en aille, un jour, à jamais.

 

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