Spirale (1998-1999, Junji Ito)

Publié le par GouxMathieu

   J'ai déjà eu l'occasion de parler, notamment pour le cinéma, de ma relation avec le genre de l'horreur. J'y reviens à présent par le biais du manga, ayant redécouvert récemment l'œuvre de celui qui est souvent présenté comme le ténor du genre, Junji Ito.

 

 

   C'est par Spirale que j'ai connu le travail de Junji Ito. Auparavant, je ne connaissais du manga que son versant aventureux, soit par l'un, soit par l'autre ; parfois, par la tendresse, avec cette enfant ou cette autre. Aussi, la découverte magistrale de ce dessin travaillé, surchargé même par endroit et comme organique, de cette histoire spiralaire, étouffante, étonnante, fut comme une nouvelle épiphanie et l'ouverture d'une nouvelle porte, que je n'ai pas encore totalement refermée aujourd'hui.

   Dans cette histoire mi-suivie, mi colligée, un village entier sombre dans la folie et la déréliction, et la forme de la spirale le suit constamment. Ce peut être la forme d'un chou, qui envahit progressivement l'épiderme ; des escargots géants, souvenirs d'anciens humains, peuplent les forêts ; des cyclones furieux ravagent les toits et cherchent de leur œil les victimes propitiatoires d'un sacrifice dont le sens s'est comme perdu dans la nuit des temps.

   Il est facile de ne retenir de Spirale que quelques images fortes, quelques obscurités diverses pour faire frémir l'enfant qui se terre toujours quelque part en nous. Déjà, la maestria graphique, le crayon lourd, gras, mais également filandreux et comme transparents, ne peut que plaire : on est comme sidérés de voir tout cela, sidérés de la précision de l'élément, sidérés de l'étonnement constant que chaque planche, que chaque attente produit par le tour de page, crée en nous.

   Mais de la même façon que, mettons, Nightmare on Elm Street se voulait éminemment politique, interrogeant les contours de la société américaine puritaine, Junji Ito propose une vision critique du capitalisme et de l'individualisme de nos sociétés modernes. Le manque d'empathie, l'orgueil de la bonne mine, la méchanceté, le culte de l'idole, voilà quels sont les veaux d'or qu'on nous propose de renverser. Finalement, peu importe à la fin de l'histoire que l'on ne sache d'où viennent ces statues géantes qui, dit-on, sont à l'origine des maux de ce peuple : c'est l'absence de résistance et d'amour, s'il faut le dire, qui aura conduit les uns et les autres à leur perte.

   Le thème de la solitude revient souvent dans notre culture moderne, sans qu'il ne soit bien compliqué de tracer un parallèle avec la politique du temps. Chez Junji Ito, difficile de ne pas l'apercevoir : solitude de la punition, solitude du tourment, solitude de la mort ; solitude de l'être face à la foule, l'avanie et l'anathème. Les couples survivent aussi longtemps que possible, certes ; mais toujours finissent-ils pas se rompre et disparaître, n'étant jamais totalement uni. Spirale, peut-être, d'être l'exception à la règle puisque c'est dans le bonheur terminal que nos protagonistes finiront enlacés, l'étreinte de la spirale n'étant pas parvenue parfaitement à les défaire.

   Depuis ce premier moment, j'ai quasiment tout lu de Junji Ito. D'autres histoires depuis sont venues, et d'autres depuis sont mes préférées : mais Spirale demeure la première, et pour cela je l'aime encore. Il n'y a là rien à reprocher à dire vrai ; mais l'après est sans doute meilleur, comme raffermi et mieux rondi. J'encourage alors l'amateur à commencer les choses ici, et à aller ailleurs une fois le goût du malheur en bouche : l'amertume le prendra alors à la gorge, pour ne jamais plus le quitter.

 

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