Génie du christianisme (1802, Chateaubriand)

Publié le par GouxMathieu

   Je n'ai pas un rapport difficile avec la religion, comme d'aucuns le disent parfois, comme je l'ai cru moi aussi jadis. Mon père est une grenouille de bénitier, plus par ennui que par conviction ; ma mère bouffe les curés. Moi, je n'ai jamais franchement cru, mais j'aime la beauté où qu'elle se trouve. Chateaubriand aussi, d'ailleurs.

 

 

   C'est par François-René, jadis, que j'ouvrais ce journal ; je n'en ai point parlé depuis, ou alors obliquement. Ni Atala, ni René n'ont eu encore leur billet : cela viendra sans doute, comme j'ai de la suite dans les idées. Mais le Génie, première œuvre populaire de l'auteur, est retombé sous mes yeux cet été. Je l'avais lu jadis, et j'en étais ressorti confus, plutôt qu'exalté. Je croyais avoir une démonstration, j'avais des images : je voulais alors les uns, et non les autres. J'ai vieilli, comme j'ai eu la chance de le faire, et à présent je comprends mieux ce projet.

   Qu'on ne s'y trompe : on ne trouvera pas ici de traces d'une supériorité religieuse chrétienne sur une autre, ou sur l'athéisme, voire. Je ne suis pas théologien, mais même ma connaissance limitée des choses du Livre m'a fait souvent voir que l'auteur confondait beauté et vérité, dessein avec hasard. Je ne le crois pas dupe de sa propre entourloupe, je pense que le boniment reste contrôlé malgré tout : Chateaubriand n'est pas Bossuet, le Génie n'est pas l'Histoire universelle. Cela n'ôte cependant rien, à ce que j'ai lu, à sa grandeur.

   Car il y a dans ce texte comme une sincérité et un souffle, surtout, un Verbe, auquel je suis particulièrement sensible. J'ai beau pratiquer surtout les textes de l'époque classique ; j'ai beau lire Hugo, Flaubert, Stendhal, Sand, Despentes, et encore ; je reviens encore et toujours à Chateaubriand, que j'imite sans le vouloir, que je redécouvre constamment, qui me donne envie d'écrire et me déprime, tant je ne pourrai jamais être à sa hauteur. C'est ainsi : on a nos faiblesses, et mon cœur ne sait battre qu'à ce rythme.

   D'ordinaire, quand un texte se fait aussi malhabile quant à mes convictions, quand il va à l'encontre de tout ce que je pense être la logique la plus élémentaire, je le pose et m'en détourne : je n'ai plus le temps d'être scrupuleux. J'ai arrêté des films au premier plan, j'ai refermé des romans à la première page. Mon temps est précieux, même si je ne l'ai appris que tout récemment. Chateaubriand, lui, me tient et m'amène de gré, ou de force : je ne peux le quitter. C'est un genre de relation toxique, comme on le dit à présent, je suis comme hypnotisé tout entièrement, et je ne peux rien y faire.

   Alors, on me parle des célibats des prêtres, comme de la plus grande des idées de l'esprit humain. On me parle des cimetières et des messes latines, comme si la vérité était là, entre la nef et le sépulcre. On me montre une sainte béate devant un coquelicot, un reliquaire contenant une phalange pourrie, on me parle d'un miracle qui a eu lieu il y a deux mille ans dans un désert, entre un buisson sec et une tente ruinée, et on me dit : "Voilà" ! Moi, je ne vois rien, mais je ne peux pas détourner le regard. Quand Flaubert voulait faire tenir un "roman sur rien" qu'avec le style, son Éducation sentimentale disait encore quelque chose : je pense que le Génie réalise bien plus nettement cette idée.

Je n'ai jamais cru, et pourtant j'ai fait les gestes. Je n'ai pas eu d'épiphanie. Peut-être cela me viendra-t-il un jour : peut-être lorsqu'un frère, lorsqu'une mère ou un enfant mourra. Mais j'aime la beauté, où qu'elle se trouve. Dans les cathédrales, j'ai toujours un frisson : aux musées, on ne peut qu'être extraordinairement petit devant les chérubins rieurs, les anachorètes sévères, devant Saint-Jérôme tenant le crâne. Je ne peux que pleurer de joie en lisant Chateaubriand : je ne crois pas pour autant, mais mon cœur se remplit.

 

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