The Addams Family (1991, Barry Sonnenfeld)

Publié le par GouxMathieu

   Certes : je succombe à l'actualité festive du moment ; mais j'honore également une promesse faite il y a bien longtemps en parlant d'un de mes films favoris, que je connais depuis tout petit. Il est effectivement quelque chose, ici, qui me fascine encore : et mon goût pour le gothique et le sombre doit sans doute beaucoup à cette œuvre.

 

   

 

   Les connaisseurs se rappellent vraisemblablement de l'ancienne série télévisée ; avant cela, de la bande dessinée qui l'a inspirée ; mais c'est avec ce film de 1991, et sa suite globalement moins reçue, que cette mesnie étrange rentra dans la conscience collective. On se souvient de ces personnages truculents, de Gomez, de l'Oncle Fester, de Wednesday ; de ces scènes magistrales, qui dans la salle du coffre, qui lors du bal, qui dans la serre ; de ces plaisanteries bizarres où le grotesque se mêle à l'inquiétant. Plus que tout, c'est l'esthétique qui me fascine ici.

   Je ne suis guère sachant en matière de cinéma : je ne sais analyser les plans, les scènes, le langage de la caméra, me contentant souvent d'un regard très superficiel sur ces choses-là. Mais peut-être, justement, parce qu'étant philistin en ces choses, suis-je plus impressionnable, moins disert : et, partant, plus influençable. Lorsque je vis ce film pour la première fois, je devais avoir sept ou huit ans ; mes univers filmiques se résumaient, pour la plupart, à des dessins animés et des comédies ; je ne fus plus tout à fait le même après cela.

   Ce que j'admire particulièrement ici, c'est la légèreté, constitutive de cet univers même, avec laquelle les pires tortures sont envisagées. On parle bien d'acide, de démembrement, de souffrances horribles, le sang gicle en fontaine ; mais cela est fait sur un air de cavalcade, on s'amuse sincèrement des chaînes et des cilices, on plaisante en évoquant une telle, brûlée au bûcher, ou un tel, dévoré par les loups et les corbeaux. L'univers saisit est en décalage avec tout ce que je connaissais alors, on me proposait non pas une réalité déviée, dans laquelle la magie ou le merveilleux existe, mais bien une autre réalité, un autre monde. Je faisais l'expérience sincère, pour la première fois, de la suspension consentie d'incrédulité.

   Ce que j'appréciais surtout, et ce qui se sera perdu sans doute avec le temps, c'est que jamais le film ne cherche à justifier l'univers qu'on nous dépeint : la famille Addams, ainsi, d'être apparemment immortelle, bien qu'ils saignent et souffrent ; leur fortune millénaire n'est jamais expliquée, elle existe simplement ; l'âge même des protagonistes semble être un mystère, petitement amené par la réapparition de ce frère depuis longtemps disparu et que l'on retrouve alors, comme à la fin de toutes les grandes comédies du temps.

   Il y a comme une mélodie bizarre dans ce film, c'est une valse qui nous entraîne incessamment dans sa ronde, du début à la fin. On ouvre par un chant de Noël, tout un coup interrompu par une marmite d'huile bouillante et le thème, à présent su de tous, de la famille elle-même ; on poursuit par un plan savamment orchestré, mais dont les fausses notes successives éteindront bientôt l'enthousiasme. Il sera définitivement rompu par une séquence magistrale de danse, le souvenir de laquelle je garde précautionneusement dans un coin protégé de mon crâne ; enfin, c'est en apothéose que l'on terminera cette fable, cette péripétie amusante.

   L'art du spectacle, de la mise en scène ; le théâtre, lui-même représenté dans le film par l'intermédiaire de la scène sanglante que joue les rejetons, semble tout embrasser ici. Là encore, un art dans lequel je suis peu sachant, et pour lequel j'ai une immense sympathie. Tout est comme théâtral dans ce film, dans cet univers : les personnages, Gomez en premier lieu, semble n'agir que devant un public, réel comme imaginaire ; Morticia est mystérieuse et tout en retenue, mesure ses effets avec soin et génie ; Fétide alterne entre le jeu de jambes d'un Keaton ou d'un Tati et le désespoir d'une figure de marbre grise ; le manoir même aux nombreux couloirs et aux salles secrètes est brillant de démesure et de silence, c'est un personnage vivant et nécessaire à l'ensemble.

   Enfin, et sans doute à mes yeux, il y a un charme bizarre à tout cela qui n'emprunte ni à la nostalgie, ni à la facilité. Certes, on a là un film à grand spectacle comme Hollywood sait toujours le faire ; certes, sa découverte aux âges où toute ma tendresse se construisait le rend, à mes yeux, incontournable ; mais au-delà de cela, il est une fabrique, une texture de la lumière, du décor, de la mise en scène, une synergie qui me rend tout agréable. J'ai retrouvé ça, depuis, dans The Princess Bride par exemple : je ne me l'explique point, je ne peux le décrire : je ne peux que l'appréhender.

   Je l'ai dit auparavant : on a les modèles que l'on peut. Je ne peux me targuer, comme d'autres, d'une haute hérédité, de fleurons, de génies objectifs. En cinéma, j'ai découvert depuis Kurosawa, j'ai découvert depuis Citizen Kane : mais c'est par Disney, par La Grande Vadrouille, que je fis mes classes. The Addams Family fut un maître prodige, joyeux sans être sévère : et ses leçons, son style, sa patte de m'accompagner encore maintenant et surtout en ces saisons, où le jour tombe et les morts se lèvent. 

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